Chronique

Une loi qui sert bien le Pouvoir

On va parler d’accès à l’information.

NON ! Ne me quittez pas ! En fait, je veux parler de débats et de prise de décisions dans une société démocratique.

C’est plus sexy, là ?

OK. La Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels est ce qu’on désigne à tort au Québec comme étant la Loi sur l’accès à l’information.

L’article 9 est le vernis de respectabilité de cette loi imaginée par le journaliste Jean Paré et mise au monde par le gouvernement péquiste de René Lévesque, il y a une vie de cela. Il se lit comme suit : « Toute personne qui en fait la demande a droit d’accès aux documents d’un organisme public. »

Sauf que c’est pas vrai.

Après, il y a des tas d’articles utilisés par les organismes publics – ministères, sociétés d’État, organismes publics ou parapublics, municipalités, universités, etc. – pour refuser l’accès aux documents en question.

On peut alors faire appel à la Commission d’accès à l’information (CAI). Mais en CAI, bonjour les délais ! Vous avez le temps de tomber enceinte et de voir votre premier-né commencer à parler avant d’obtenir une décision (j’exagère, mais à peine).

Prenez les sociétés minières. Les sociétés minières doivent verser des redevances dans un fonds, qui sert ultimement à restaurer des sites une fois que l’industrie a fini d’extraire des minerais. Sinon, qui paie ? Vous et moi.

Le sous-sol appartient à tous les Québécois. Les sociétés minières ont le droit d’exploiter ce sous-sol. Il tombe sous le sens que les Québécois devraient avoir le droit de savoir combien la minière X a donné au trésor public pour la restauration éventuelle d’un site, non ?

Réponse : non ! Ça ne tombe pas sous le sens, au ministère des Ressources naturelles (MRN), que la question des redevances de toutes sortes puisse être d’intérêt public.

Le MRN a donc refusé la demande d’Enquête, prétextant toutes sortes de motifs utilisés en ces circonstances, comme « fournie par un tiers » ou « relevant du secret industriel ».

De 2006 à 2012, Monique Dumont a été chef de l’équipe de recherche de l’émission Enquête, à Radio-Canada. C’est elle qui me raconte l’anecdote des mines : « Deux fois, le MRN nous a refusé l’accès à ces renseignements. Finalement, pour la minière visée, sais-tu où je l’ai trouvée ? Dans le rapport annuel de cette compagnie, cotée en Bourse… »

Vous avez bien lu. Le gouvernement du Québec a refusé de rendre publique une info qui était… déjà publique !

Pas de chance à prendre : tout d’un coup qu’un document démontrerait que l’État laisse les sociétés minières abuser du trésor public…

***

Pour Pierre Craig, animateur de La facture et président de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, la Loi sur l’accès aux documents publics doit être carrément refaite et, surtout, repensée.

« Il faut que la notion d’intérêt public soit incluse dans la loi. Les responsables de l’accès dans les organismes, de même que les commissaires de la CAI, doivent se demander s’il est dans l’intérêt public de publier un document. »

Présentement, ce n’est pas le cas. Présentement, tout le système penche du bord de l’opacité, pas du bord de la transparence.

Exemple, relaté par Craig : un journaliste demande à un hôpital le nombre de chambres à un lit et à deux lits.

Une demande parfaitement anodine, on s’entend.

Réponse : faites une demande d’accès à l’information ! L’hôpital, bien sûr, viole l’esprit de la loi. Bien sûr, il ne sera pas sanctionné.

Un autre exemple ? Go, une histoire d’ingénieurs…

L’émission Enquête, en 2009, a voulu savoir qui était membre de certains comités chargés de sélectionner des firmes de génie pour la réalisation de travaux. Tsé, le genre d’info qui permet de savoir qui connaît qui et qui est copain avec qui…

Eh bien, le ministère des Transports a refusé la demande de Radio-Canada : ce sont des informations « confidentielles ».

Or, l’an dernier, le fonctionnaire responsable de ces questions au MTQ, Marcel Carpentier, a avoué à la commission Charbonneau que ces mêmes renseignements avaient été donnés de façon routinière… à des firmes de génie !

Le même ministère qui dit non aux journalistes dit oui aux firmes de génie.

Lisez-y ce que vous voulez bien y lire. Moi, ça me rappelle les mots de Jean Paré, parrain de l’idée de cette loi : « Un État qui refuse aux individus l’accès aux renseignements leur nie le droit de contrôler la chose publique comme de participer à sa gestion. Le secret conduit à l’abus de pouvoir. »

***

Mais peut-être que la loi de l’opacité qui gouverne l’accès aux documents publics va bientôt mourir. Je mets ce « peut-être » en néons roses, mais reste que Philippe Couillard, premier ministre désigné, a annoncé dès son élection son ambition de revoir cette loi.

Pierre Craig, « mon » président, est un idéaliste. « J’ai de l’espoir. Je pense que si M. Couillard a dit cela, c’est parce qu’il le croit. » Avec la FPJQ, il va plaider la cause de la transparence.

Le président de la FPJQ veut que la notion d’intérêt public soit incrustée dans une nouvelle loi, que les responsables de la gestion des demandes d’accès soient indépendants du pouvoir politique et que la CAI cesse ses ridicules prétentions de neutralité : « Il faut que la CAI se transforme en protecteur des demandeurs d’accès. »

Personnellement, je ne retiens pas mon souffle. Je suis trop cynique. Cette loi sert trop bien le Pouvoir pour que le Pouvoir la modifie.

En même temps, disons que le Pouvoir n’est pas trop, trop emmerdé par les journalistes, là-dessus. Le « Manifeste pour un Québec transparent » publié par la FPJQ pendant la campagne électorale n’a pas fait l’objet d’une couverture délirante, disons.

Combien de chroniques, combien d’éditoriaux, depuis 30 jours, sur la demande de la FPJQ ?

Un texte, un seul.

Celui que vous venez de lire.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.